Texte de Philippe de Almeida architecte
Un bar-glacier, situé dans le parking de la Riponne et à proximité immédiate du cinéma Romandie, vient juste d'être achevé. L'architecte Ch. Beck a conçu pour ce bar une forme claire et simple au premier abord, pour un lieu qui ne l'est pas. Un grand nombre de contrainte sont à l'origine de cette réalisation: maintenir des locaux en tout temps accessibles avec un accès indépendant pour les Services Industriels, conserver la sortie de secours du cinéma contiguë au café, enfin, laisser libre de toute entrave l'escalier extérieur permettant d'accéder de la place de la Riponne à la rue du Tunnel. Le lieu, par son emplacement, est ambigu, moitié souterrain et en même temps de plain-pied avec la place. Au heu de rejeter l'ensemble de ces difficultés, en créant un «objet» clos, l'auteur cherche au contraire la confrontation avec ce lieu peu propice de prime abord à une occupation aussi «superflue» que celle de manger des glaces. Christian Beck contourne l'en¬ semble de ces difficultés en optant délibérément pour une forme cylindrique, ou plutôt pour une spirale encastrée dans la structure existante du parking - tout en demeurant conscient que, face à l'échelle du parking, ce café ne sera jamais qu'une souris sur le dos d'un éléphant. On accède à l'intérieur sans s'en apercevoir: seul le traitement du sol en marbre vert donne, à travers son aspect lisse et précieux, la sensation d'avoir franchi un seuil, une autre intimité. La véritable porte est l'escalier extérieur et le portique existant devient l'auvent du café. Ce même traitement est perceptible à l'intérieur : aucune frontière tangible ne sépare l'entrée, le bar et la terrasse extérieure. L'intérieur se compose d'un espace cylindrique entouré de parois en verre dépoli, reflétant une lumière vert-bleu, elles-mêmes sur¬ montées d'un anneau, blanc et noir, percé de trous et contenant la machinerie de l'aération. L'office central, rectangle orthogonal placé en biais par rapport à la structure du parking, participe à la sensation d'être «ailleurs», désorienté. Entre l'intérieur et l'extérieur, un verre dépoli a été utilisé, non seulement comme source de lumière, mais encore pour son apport décoratif propre.
La matérialité de la façade Ä ainsi unifiée. Chacun des panneaux de verre constituant les parois est maintenu verticalement par une structure métallique légère, tenue à l'extérieur par des raidisseurs cintrés, épousant la cour¬ bure du cercle et rendant ainsi, vu de l'extérieur, un galbe lisse et continu, ne donnant pas de ce fait un aspect de facette qu'on eût perçu sans cet artifice technique. Par un système d'axe, ces mêmes panneaux ont la possibilité de pivoter, offrant au regard des échappées vers la place de la Riponne. Le jeu de ces «feuilles» façades pouvant pivoter de manière indépendante redivise et démultiplie la façade, leur inclinaison devient ainsi le fait du hasard et crée, depuis l'intérieur, des perspectives irréelles, saugrenues, comme dans un kaléidoscope. A travers un mécanisme complexe, l'auteur travaille sur une stratégie d'échos, de reflets. Le regard va et vient entre l'intérieur et l'extérieur, tel un panoramique fragmenté, aléatoire et immédiat. L'architecte a délibérément pris le parti de l'évanescence, la relation de l'individu avec l'édifice s'établissant d'abord en partant d'une émotion de rupture, d'une perception confuse de l'extérieur. L'éclairage intérieur est indirect, les spots sont dirigés vers le plafond blanc, accentuant l'immatérialité de ce plafond, qui semble se détacher des parois. Un même éclairage extérieur, composé également de spots, renvoie la lumière à l'intérieure, à travers le filtre du verre, de la même manière que la «maison de verre» de Pierre Chareau à Paris, créant de ce fait des illusions d'aube artificielle. Face à cette machinerie, un sentiment d'inachevé subsiste, dû au fait que la terrasse jouxtant la construction garde un mobilier très quelconque, qui jure face à la sophistication du mobilier intérieur. On retrouve ce dilemme avec l'accès aux services, qui garde les séquelles de l'ancienne construction, sans commune mesure avec la nouvelle. Il faudra encore quelques ajustements avant que cette belle carrosserie ne prenne sa totale signification.
Philippe de Almeida architecte